Des problèmes d'identité en France...

Publié le par Matebullo

... ou comment une paire de pieds mal placés conduit à des accusations de racisme.


 

Comme tous les soirs, j'ai pris le bus de 19h23. A part que d'habitude il passe à 19h24, et qu'aujourd'hui il est passé à 19h28. Il y avait plus de monde que d'habitude aussi. Un homme à l'avant. Un autre mec plutôt vers l'avant, assis en marche arrière, avec vue sur tous les autres passagers. Deux jeunes dans le carré du fond, là où j'aime me mettre d'habitude. La bonne femme qui prend le bus de temps en temps, en train de composter son ticket, qui est allée s'asseoir à côté de la porte du milieu, et juste de l'autre côté du couloir l'homme qui l'accompagne systématiquement (probablement son mari, ou alors son amant). Je les soupçonne tous les deux de boire quelques litres de bière avant de prendre le bus. Des fois, ils boivent une dernière (ou pas) canette pendant le trajet. Derrière cet homme, un autre homme. Et moi, qui me suis installé à peu près au niveau des jeunes, donc vers l'arrière, de l'autre côté du couloir. On était donc 8 passagers.

 

 

La bonne femme n'était pas contente (comme souvent), et elle l'a fait savoir (comme toujours),  cette fois parce que les deux jeunes avaient pris sa place préférée (d'habitude c'est plutôt des réflexions sur la conduite du chauffeur). Et en les regardant, elle a cru voir qu'un d'eux avait les pieds sur le siège d'en face. Alors qu'il avait posé ses pieds, comme je le fais souvent, sur l'espèce de renflement où il y a les roues en dessous, mais pas sur le siège. Donc elle lui fait la réflexion, bien fort, de ne pas mettre ses pieds sur le siège. Il lui répond qu'ils ne sont pas sur le siège, et elle entend que ce n'est pas son siège. Elle commence à lui faire la morale, comme quoi son jogging de merde tout crasseux on s'en fout s'il le dégueulasse, qu'il se fout de la merde dessus ou quoi (ou un truc de ce genre), mais que s'il fout ses godasses sur le siège de devant il va le dégueulasser et que si une fille en jupe blanche vient d'asseoir dessus ça va la salir ("imagine si c'est ta soeur, tout en blanc, qui s'assoit, ..."). Les deux jeunes, pour calmer le jeu, répondent le moins possible.

 

 

Mais voilà que le mec en marche arrière, qui ne loupe pas une miette du spectacle, s'en mêle en faisant signe par deux fois que la bonne femme est folle (vous savez, en faisant tourner son index contre sa tempe). La deuxième fois, ça n'a pas échappé au type qui accompagne la bonne femme, qui lui demande "pourquoi tu fais ça toi". Le débat se poursuit entre le mec qui prend la femme pour une folle, la folle en question, le type qui l'accompagne, et l'homme derrière lui qui s'en mêle à son tour, à coup de "c'est pas vos oignons", "qu'est-ce que ça peut vous faire", "c'est une question de politesse, de respect et de propreté", et autres phrases du genre, jusqu'au fameux "la propreté ça existe chez nous". Et alors vas-y que moi je suis français, marocain, musulman ou autre, que toi t'es qu'un raciste, que on sort du bus et que jte démonte ta gueule. Finalement, la tension a baissé, deux clans se sont formés (d'une part le type en marche arrière et les jeunes, malgré eux, qui ne lui ont rien demandé, et d'autre part le couple et l'homme juste derrière) et fermés (on se parle entre nous, on évite de parler aux autres). Le type en arrière a voulu sympathiser avec les jeunes, et leur a conseillé de descendre du bus avec lui ("vous êtes qu'à 10 minutes de la gare à pied ici"), par contre j'ai pas bien saisi pourquoi, peut-être parce qu'il était arrivé ou parce qu'il en avait marre des autres. Les jeunes ont refusé, il est descendu seul, au même arrêt que moi (parce que moi, j'étais arrivé).

 

 

Deux constats.

 

Six personnes sur huit dans un bus qui ne se connaissent pas et qui se parlent, c'est phénoménal. Dommage que ce soit pour se monter les uns contre les autres...

 

D'une simple histoire de pieds mal placés, on arrive à un conflit inter-générationnel et inter-ethnique (pour ne pas dire inter-racial). A cause de deux petits mots (bien placés cette fois) au milieu d'une phrase : "chez nous". C'est vraiment après ces mots que la tension a monté (et que les jeunes sont complètement passés au second plan, du coup). Comme si au moindre problème et à la moindre prise de position il fallait se justifier par son appartenance à une catégorie (la "bonne", de préférence) de la population. Comme si tous les problèmes devaient obligatoirement tourner autour de différences d'origine. Comme si on se sentait systématiquement attaqué lorsqu'on remet en doute, de façon volontaire ou accidentelle, notre appartenance au groupe. Comme si cet appartenance au groupe tournait forcément autour de l'origine géographique, et non à des pratiques (ici les groupes semblaient plutôt, je cite, être "français" ou "musulman", plutôt que ceux qui mettent ou pas les pieds sur un siège, puisque c'est de ça qu'il était propos à l'origine). Comme si on avait besoin de se construire une identité reconnue par tous, acceptée, jamais remise en question, pour se sentir "chez nous", et non "chez eux".

 

 

A développer, et à digresser.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article